C O M M E U N E I N T U I T I O N . . .
Octobre 2011
Tout le monde riait.
Bientôt,
dans deux semaines, les grandes vacances !
*
*
*
1941
Il reprendrait l’autocar de 15 h 10,
juste en face du lavoir.
Les temps étaient durs,
en Normandie comme ailleurs.
Mais Maman avait néanmoins réussi à préparer,
ce jour-là,
un beau festin tout simple.
Une fée.
Je ne me souviens plus du menu,
mais ce dont je me souviens très bien,
c’est du dessert.
Un très gros gâteau de Savoie.
Blond. Léger. Moelleux.
Ça sentait bon dans toute la maison.
Tout le monde savait
que c’était sa gourmandise préférée…
Un bon gâteau de Savoie
avec une belle cerise bien mûre,
posée comme une île
au beau milieu d’une mer de sucre glace…
Pendant tout le temps du café,
il m’avait fait sauter sur ses genoux.
Ă un moment,
Papa avait lancé brusquement :
« Allez, ouste ! Tout le monde dehors !
On va faire un souvenir.
Je vais chercher mon Kodak ! »
Une petite boîte noire et carrée,
je m’en souviens bien,
qu’il tenait fièrement et précieusement
vers le bas, devant lui,
au niveau de sa taille.
Papa aimait photographier.
Alors,
entre les asperges fines et les scaroles déjà généreuses,
on s’est serrés, bien côte à côte…
Sur la photo jaunie,
le noir et blanc est pâle,
les bords de l’image sont finement dentés.
Tout le monde a l’air vraiment heureux.
Sauf moi.
J’ai le regard dans les vagues,
la tête légèrement penchée
et une jambe en quasi déséquilibre…
Mon grand frère adoré
porte son beau costume de marin,
rayé vers le haut.
Sur son béret bleu marine,
il y a un très joli pompon rouge,
un peu comme une grosse cerise de début d’été.
Vous savez,
quand on le touche, ça porte bonheur !
Tout le monde vous le dira.
Moi,
je suis debout, juste devant lui,
et lui, il est juste derrière moi.
Il sourit, il me protège.
Ses deux grandes mains sont posées
sur mes petites épaules d’écolière.
Ma blouse à carreaux.
Et puis, Papa a dit :
« Allez, Loopinette !
Embrasse ton frère et sauve-toi !
Tu vas être en retard à l’école ! »
Mon frère a pris ma main
et il m’a conduit tranquillement
jusqu’au carrefour des Landes.
Sur le chemin,
on n’a pas parlé du tout.
Ă un moment,
il s’est baissé et il a ramassé
un petit silex tout rond, tout blond, tout lisse.
Il l’a glissé silencieusement dans ma poche
en faisant un drôle de petit clin d’œil…
Je l’ai serré, serré.
Pour me décrocher de lui,
il a dû m’écarter un peu brutalement,
mais son œil riait toujours.
Alors, j’ai déguerpi.
Comme une folle,
j’ai couru jusqu’à la Communale.
Il paraît qu’en classe,
j’ai pleuré tout l’après-midi.
Comme une intuition…
Devant tout le monde,
la maîtresse avait dit tout haut :
« Loop, tu devrais être contente
d’avoir eu ton grand frère en permission,
rien que pour toi, pendant trois jours !
*
*
*
Personne ne pouvait imaginer
qu’il n’y aurait pas d’autre permission…
Automne 1944.
Cela fait plusieurs mois maintenant
que la Normandie est libérée.
Comme un grand bouquet de printemps,
un fol espoir renaît ici et là.
Mais,
au large de Sète, le 25 octobre de cette année-là,
un dragueur de mines,
l’Aviso Ailette,
a explosé et sombré
sous le grand soleil de la Méditerranée…
Pénélope Estrella-Paz
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