Maman lit trop bien...
L A F E N Ê T R E
S U R
L E F L E U V E
Maman avait approché
le tabouret blond
de mon lit blond...
Elle avait allumé le chandelier,
ajusté un peu ma couette
et puis
elle avait dit :
" Ma Loop,
ce soir,
je te raconte une histoire d'ailleurs,
une histoire d'un autre temps.
Une époque
où tu n'étais pas encore née
et moi non plus..."
Moi,
j'aime bien les histoires
de quand je n'étais pas née.
J'ai toujours l'impression
de les avoir déjà écrites...
Images Frieda
Février 2012
1925
Parfum de croisière noire.
Silencieusement,
Ils conduisirent la Dame
jusqu'à la Chambre bleue,
celle qui, à l'époque,
était la plus à l'écart...
La jeune servante,
muette de naissance,
avait été choisie, dès l'enfance,
parmi une lointaine ethnie
de l'est du pays.
Depuis toujours,
les femmes, les jeunes filles, les fillettes,
là-bas,
passent pour être remarquablement
fines, fidèles et dévouées...
Humilité du discours
et port de déesse...
Depuis l'aube des temps,
les griots chantent leurs légendes.
La fille
des Légendes immémoriales
a très gracieusement
déposé un petit bouquet de bougainvillées
vase d'ivoire ciselé
sur la petite table basse
toute d'ébène veiné,
près de la fenêtre,
celle qui ouvrait sur le sud
et sur le Fleuve...
Très vieille grille ouvragée...
On entendait, au loin,
le ramage
des oiseaux libres des eaux libres...
Mais, les entendait-Elle ?
Doum doums, koras et balafons
en sourdine,
bien au-delà de la ligne des toits...
Cliquetis poussiéreux des autochenilles…
Un peu avant,
Il avait fait préparer et monter
des boissons fraîches et sucrées,
ainsi que plusieurs plateaux de mets
simples et rares,
plus appétissants les uns que les autres...
Fèves et arachides,
pamplemousses et ananas
délicieusement juteux...
Fête des couleurs espérées
et
des saveurs oubliées...
L'eau à la bouche...
Peut-on le dire ?
Et puis,
assez soudainement,
d'une voix ferme et calme,
autant que rassurante,
il avait dit :
" Voilà, Madame,
de quoi vous sustenter suffisamment et agréablement
pendant plusieurs jours,
si nécessaire...
Si vous le voulez bien,
nous allons maintenant prendre congé
vous laisser à votre particulière et précieuse retraite
et
vous confier
aux Dieux du fleuve et des nuages...
Vous le savez depuis hier,
vous ne sortirez d'ici
qu'après saine et mûre réflexion.
Lorsque aurez finalement choisi d'exprimer
à voix haute
votre libre désir
de me choisir comme maître..."
Depuis leur entrée,
la fine servante était restée en retrait
dans un carré d'ombre,
les yeux baissés...
Mais,
juste avant de quitter la chambre...
avec beaucoup de déférence
et d'affection sincère,
l’adolescente à la muette peau cuivrée
s'agenouilla et embrassa
avec une grâce toute religieuse,
les mains, les genoux et les pieds de sa maîtresse...
La porte se referma bientôt
en grinçant un peu.
On fit jouer à serrure
à un ou deux tours.
Les pas s'estompèrent peu à peu
dans le couloir dallé.
Eloge de la sérénité.
Profitant du grand silence,
dans un souffle,
Elle s'est enfin laissée tomber
sur le grand lit
couvert d'un drap maure écru,
richement ajouré.
On dit qu'à cet instant
elle a poussé
un imperceptible soupir...
Seuls,
des insectes invisibles l'entendirent...
Dende O
Lentement,
Elle fit descendre sa main
le long de sa hanche, de sa cuisse...
Centimètre après centimètre,
avec une infinie lenteur,
Elle remonta
le bas de sa longue robe bleu nuit.
Juste ce qu'il fallait...
Tout en confiance,
car les oiseaux du fleuve veillaient,
ses yeux se sont très doucement refermés.
Alors, seulement,
ses doigts ont bougé sensiblement
et
Elle a commencé à se caresser doucement...
Qu'importe le temps...
*
*
*
Mais je crois que je n'ai pas entendu
la fin de l'histoire.
J'étais déjà endormie...
Maman a dû souffler les bougies
une à une,
m'embrasser délicatement sur le front
et puis ressortir
en refermant la porte très doucement...
Février 2012
Le blog de Frieda :
Dende O :
Maman a déjà lu :
" Des heures suspendues... "
.
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