L E S H U I T L A V A N D I E R E S
D E
B R O C E L I A N D E
Février 2013
Je m'en souviens,
c'était le troisième dimanche
après l'Assemblée des Druides.
Vénus venait juste de poindre
au-dessus du petit bois de bouleaux
qui domine le hameau de Trédéal.
D'un geste silencieux,
il m'avait fait asseoir sur la mousse,
sous le grand chêne de la Croix de Creuse Fontaine,
et puis il m'avait dit :
" Oh my Loop,
je ne devrais pas vous raconter ma vie comme ça... "
Moi,
je ne savais pas si je devais répondre ou pas.
Alors, il a continué :
" Voilà.
C'était un soir qui n'avait pas connu l'hiver.
C'était un vieux lavoir peuplé de tous les fantômes
de toutes les lavandières
que j'avais connues dans cette vie-là
et aussi au cours des précédentes.
Je me souviens précisément de chacune,
surtout les nuits de pleine lune,
comme aujourd'hui...
Je me souviens...
Le ruisseau du Pas du houx courait silencieusement.
Agenouillée sur sa caisse de bois mouillé,
courbée sur son ouvrage,
Elaine battait le linge
et moi je battais la campagne.
Morgane fredonnait un air oublié,
très ancien et très doux,
et moi j'avais un peu peur de l'Ankou.
Presine,
si frêle et si pieuse,
essorait énergiquement de grandes pièces de lin
et moi, je faisait des ronds dans l'eau.
Kerridwen,
en balançant en rythme ses cheveux,
rinçait avec précaution ses fines lingeries de soie,
et moi je faisais mine de ne rien voir.
Iseult, de temps à autre,
en s'accroupissant
dans un geste de majesté simple,
remettait du bois menu
sous le grand chaudron fumant et bouillonnant
et j'aimais sa respiration.
Viviane s'apprêtait à étendre son long drap écru
sur les herbes folles,
des herbes à rendre fous les plus sages...
Malgwenn avait fini par sortir un vieux livre de contes
dans un alphabet que je ne connaissais pas
et j'ai compris, à cet instant,
que plus jamais je ne saurai lire...
Et puis,
la cloche du monastère des Trois Ponts,
je crois, a résonné au loin,
derrière la colline aux ayrelles.
Au-dessus du chaume sombre du lavoir,
dans un halo presque frissonnant,
la lune s'était levée,
enfin...
L'air sentait bon le savon d'ambre,
la fumée des aiguillettes brunes
et le parfum des elfes douces.
L'invisible présence des korrigans du vallon
vibrait comme une palpitation sans nom.
Soudain,
on a entendu quelques cailloux rouler
sur le vieux chemin de granit qui descendait
en serpentant entre les ajoncs, les noisetiers et les fusains,
quelques grenouilles ont coassé,
des pas légers, plus nets, se sont approchés.
C'était Mélusine...
Et puis il s'était tu.
Assez loin,
un oiseau nocturne avait lancé un long cri aigu.
J'ai frissonné.
Imperceptiblement,
il s'était rapproché de moi,
je crois,
et j'avais senti, dans l'obscurité, sa main
comme se poser doucement sur ma main...
Pénélope Estrella-Paz
E P I L O G U E
Mélusine au bain
Roman de Mélusine par Jean d'Arras.
Manuscrit enluminé, XVe siècle.
BnF, Manuscrits.
Clic !
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Ces quatre illiustrations sont l'oeuvre
de Erlé Ferronnière,
extraites du très luxueux album
" Fées et déesses "
Aurélie Brunel / Erlé Ferronnière
Editions Daniel Maghen
Festival de la Bande dessinée
de Chalonnes sur Loire
Février 2013
Le site de Erlé :
Zoom !
Galerie d'images :
Oh !
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