Jasmine Sharzad
U N E P E T I T E P O I G N E E
D' A M A N D E S
مشت کوچک بادام
Avril 2014
C'était, je crois,
tout près du Parc Lâleh,
non loin du Musée du Tapis,
à l'angle de l'Avenue du Dr Fâtemi...
Mais je n'en suis plus trop sûre..
La journée avait été chaude,
le quartier était presque désert,
à cette heure égarée,
presque volée...
Le dernier bus vieux jaune
venait de s'éloigner,
en cahotant, sans un klaxon...
Elle avait maintenant le soleil
en plein dans les yeux...
Contre son dos frémissant,
un mur de briques rouges,
usé, très doux, presque brûlant...
Presque aveuglée.
Il s'est approchée d'elle
doucement...
Jusqu'à ce que ses épaules touchent ses épaules.
Et puis son ventre aussi,
je crois...
Délicatement.
Des parfums d'ailleurs,
des fleurs d'orangers,
le pays des citronniers de son enfance...
Shiraz.
Elle a fermé les yeux,
vous comprenez,
le soleil l'aveuglait...
La brique était encore chaude.
Elle serrait sans sa main, nerveusement,
une petite poignée d'amandes
de Jarhom...
Son ventre frémissait déjà.
Elle n'y pouvait rien.
Conquêtes mongholes et déroutes afghanes...
Sa main vint délicatement se poser
sur sa hanche bleue, à elle,
comme un oiseau,
très pur, dans l'azur...
Fleurs de pavot dans l'éther...
Ses doigts si légers, à lui,
vinrent bientôt dessiner
de folles arabesques sur l'étoffe pâle
de ce coton,
pâli à force d'hésitations...
Soudain,
bien malgré elle,
elle a senti son foulard frémir...
Mais il tint bon.
L'honneur serait sauf...
Souvenirs évanescents de Shiraz,
peut-être le Palais Qâvam,
une nuit d'avril...
Plus rien n'avait d'importance,
semblait-t-il, désormais....
Son dos bien calé
contre le mur encore chaud...
Les briques rouges usées,
si usées, si rassurantes...
A cet instant précieux,
sa main était déjà partie en voyage.
Résolument.
Vers des contrées plus soyeuses,
plus rieuses, plus sauvages,
davantage vers le sud...
Des contrées de soie et d'agrumes,
des contrées un peu oubliées,
comme, jadis,
certaines oasis incertaines,
ou bien interdites...
Une itinérance quasi vagabonde,
audacieuse,
et qui dura longtemps,
semble-t-il...
C'est du moins ce que murmurèrent,
secrètement,
les premières étoiles...
Le vieux bus n'était plus qu'un souvenir.
La journée avait été très chaude
pour la saison...
Sa main bénie erra longtemps
dans le silence des rues
maintenant complètement désertées...
Les prunelles étonnées d'un très beau chat,
furtif, sur un toit, tout proche...
Son regard persan,
énigmatique...
Froissée,
l'étoffe de coton pâle
n'en finissait pas d'obéir,
sans broncher,
comme les herbes folles au courant,
sur les rivages mouillés,
à l'orée de Tabriz...
Le pays secret de son ventre,
sa main douce, l'étoffe intimidée,
le silence des rues, sa respiration plus forte,
et puis,
il fallait s'y attendre,
un murmure assoiffé, jusqu'à un cri.
Un cri silencieux.
Le plus silencieux des cris de la terre.
Petites amandes,
tombées, un soir, de sa main,
une à une, sur le trottoir,
dans la poussière rouge et dans le noir...
Sa jambe fine.
Petites perles de rosée
sur les rives de
l'éternité...
Les étoiles,
complices,
Andromède et la Pléïade,
à trois cents années-lumière...
***
C'était, je crois,
tout près du Parc Lâleh,
non loin du Musée du Tapis...
Dans ma mémoire,
une fraction de seconde...
Mais parfois, c'est vrai,
mes souvenirs m'égarent...
Jasmine Sharzad
L'image : Miroir laqué Clic !
Musée Malek
Téhéran
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