O L I A
Août 2011
Elle s'appelait Olia.
C'était notre nouvelle maîtresse.
Elle venait d'Ukraine,
mais personne ne savait
comment elle était arrivée jusqu'à nous.
Cette année-là,
quand il le pouvait,
papa venait me chercher
de temps en temps,
après l'école.
Olia,
j'aimais bien ses longues nattes blondes,
très sages,
qui sautillaient un peu quelquefois,
quand elle riait.
Moi,
j'étais au premier rang.
Elle sentait bon
et
c'était doux,
quand elle se penchait sur moi,
pour une gentille gronderie
ou
un petit encouragement.
Je me souviens,
elle portait souvent une longue robe écrue,
un peu échancrée,
assez ample, toute simple,
mais savamment brodée
au col et aux manches,
avec des motifs très gais
et
très colorés.
Elle disait
d'un air étonnamment sérieux :
" Vous savez, les enfants,
elle a été cousiou
dans le village de ma grand-mère,
tout plès de Kirovohrad... "
Nous,
on savait pas où c'était,
mais on imaginait que ça devait être
très loin et très joli.
Elle vivait toute seule,
pourtant, certains soirs,
à la petite fenêtre sous les toits,
dans la maison d'école,
on apercevait des ombres lentes...
Moi,
ce que je préférais,
c'était la dictée...
Avec son drôle d'accent
assez craquant,
Papa disait :
" Slave, l'accent, slave... "
on ne comprenait pas tous les mots,
mais on faisait quand même
le mieux possible.
En fait,
on avait très envie
de lui faire
plaisir.
Je me souviens,
elle corrigeait les fautes
avec sa belle encre Waterman
" bleu des mers du sud ".
Elle ne mettait jamais de notes.
Mais,
le jour où elle trouvait
qu'on s'était bien appliqués,
elle ne disait rien.
Elle passait
simplement derrière son bureau,
elle se penchait,
c'était beau,
et
elle faisait apparaître soudainement
une petite boîte en bois sombre,
avec des formes bien arrondies
qui me plaisaient
beaucoup
et
qui donnaient tant envie de toucher...
Elle écartait doucement quelques cahiers,
deux ou trois manuels de sciences naturelles
ou bien
une revue de mode en écriture cyrillique,
et là,
elle déposait délicatement l'étui.
C'était comme une cérémonie...
Avec lenteur, elle l'ouvrait,
ça faisait clic, clic,
et elle en sortait
un tout petit violon
qui avait l'air très très vieux.
Alors,
elle passait et repassait sur les crins de son archet
une petite pierre ronde,
couleur de miel,
qui faisait de la poussière partout
et
qui sentait bon.
Plus tard,
j'ai appris que c'était de la colophane.
Olia
se tenait debout devant nous,
bien droite.
Chacun retenait son souffle.
Au bout d'un moment,
elle fermait les yeux,
elle prenait une grande inspiration
et
elle commençait à jouer.
Pour nous.
Pour elle.
Pour la vie qui court.
C'était un peu comme des airs de danse,
des airs un peu étranges,
des choses
qu'on n'avait jamais vraiment entendues.
Cette année-là,
tout le monde voulait être bon
en orthographe.
Même les garçons.
Quand Olia rouvrait les yeux,
elle avait, quelquefois,
ici,
comme une toute petite larme.
Mais
personne ne s'en rendait vraiment compte...
Pénélope Estrella-Paz
L'image :
Olia, de l'ensemble Tsarivny
( Ukraine )
Donia
Etienne Perruchon
Dogora
( Ouvrons les yeux )
.
Première publication d'Olia :
Septembre 2011
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